Notre activité de recherche est focalisée sur les relations hôtes-pathogènes, et en particulier sur les protéines bactériennes (adhésines) impliquées dans la colonisation des epithelia. Nous avons utilisé comme organisme modèle Streptococcus agalactiae (aussi appelé Streptocoque du groupe B), l’une des principales causes d’infections néonatales dans les pays industrialisés. Depuis 2009, nous avons initié un nouvel axe de recherche consacré à l’étude de Streptococcus gallolyticus, en raison du lien épidémiologique entre les infections dues à cette bactérie et le cancer colorectal (CCR).
Notre groupe est leader dans l’étude des pili (structure protéique formant des filaments à la surface bactérienne) des bactéries à Gram-positif. Notre laboratoire fut l’un des premiers à identifier et caractériser le pilus PI-2a chez S. agalactiae. Celui-ci est constitué de 3 sous-unités, l’adhésine PilA, la piline majeure PilB et la sous-unité d’ancrage PilC. Ces différentes sous-unités constituant le pilus sont polymérisées de manière covalente par les sortases de classe C de l’opéron PI-2a.
Il existe au moins 3 types de pili différents (PI-1, PI-2a et PI-2b) dans les différents isolats cliniques de S. agalactiae. Le(s) rôle(s) du pilus PI-2b, spécifique des souches de S. agalactiae hypervirulentes du complexe clonal CC17, fait l’objet du projet de thèse de Noémi Szili. Elle est assistée dans ce projet par Bruno Périchon qui s’intéresse à la régulation de ce pilus.
Streptococcus gallolyticus, autrefois dénommée Streptococcus bovis biotype I, est une bactérie de la flore intestinale qui constitue une cause émergente de septicémie et d’endocardite chez les personnes âgées de plus de 65 ans. De plus, des études épidémiologiques révèlent une forte association, s’élevant jusqu’à 65 %, entre les endocardites à S. gallolyticus et le CCR. Le cancer colorectal (CCR) est l’un des cancers les plus fréquents, au 4e rang pour la mortalité. De nombreuses études suggèrent l’implication du microbiote intestinal dans le développement du CCR.
Notre objectif principal est de déterminer si la colonisation par S. gallolyticus est la cause ou la conséquence du CCR. L’hypothèse alternative est que cette bactérie profite de l’environnement tumoral pour se multiplier au détriment des autres populations bactériennes et provoquer des endocardites suite au relâchement de la barrière intestinale provoquée par la tumeur.
Le premier génome complet de S. gallolyticus souche UCN34 a été réalisé par le groupe de P. Glaser à l’Institut Pasteur (Rusniok et al., 2010). Cette souche a été isolée à l’hôpital de Caen à partir d’une hémoculture d’un patient souffrant d’une endocardite infectieuse causée par cette bactérie. Une colonoscopie a montré que le patient présentait également les premiers signes cliniques d’un CCR.
L’analyse du génome a révélé l’existence de 3 opérons pili (pil1, pil2 et pil3). Nous avons construit des outils génétiques pour la construction de mutants isogéniques chez S. gallolyticus UCN34 (Danne et al., 2013). Nous avons démontré le rôle clé du pilus Pil1, en particulier de l’adhésine associée au pilus, pour l’adhésion au collagène de type I, composant majeur des valves cardiaques. Le pilus Pil1 est impliqué dans la formation d’endocardites dans un modèle expérimental chez le rat (Danne et al. 2011). L’expression du pilus Pil1 se révèle hétérogène dans la population bactérienne et nous avons réussi à élucider les bases moléculaires de ce mécanisme tout à fait original qui combine variation de phase dans le peptide leader constitué de répétitions du motif GCAGA et atténuation transcriptionnelle. Ce mécanisme de régulation à la fois simple et stochastique permet à une partie des bactéries d’adhérer et coloniser les tissus de l’hôte (celles qui expriment fortement pil1) tout en échappant à la réponse immunitaire de l’hôte (celles qui expriment faiblement pil1). Ces résultats ont été publiés dans la revue PLoS Pathogens et ont fait l’objet d’un communiqué de presse (http://www.pasteur.fr/fr/institut-pasteur/presse/documents-presse/un-mecanisme-bacterien-inedit-pour-echapper-au-systeme-immunitaire).
Dans la continuité de ces travaux, Mariana Martins doctorante du programme PPU a étudié le rôle du pilus Pil3 et a montré que celui ci joue un rôle clé dans l’adhésion de S. gallolyticus aux mucines du colon ainsi que dans la colonisation du colon de la souris. Laurence du Merle qui a rejoint notre équipe en novembre 2014 a réalisé les marquages fluorescents sur les coupes de tissus fixés montrant la localisation des bactéries en rouge au niveau côlon distal des souris (en vert) et plus particulièrement au niveau du mucus. Ces résultats font l’objet d’une publication qui vient d’être acceptée (Martins et al., 2015 J. Infect. Dis.) et la Fig. 4 de notre article a été sélectionnée pour faire la couverture du journal.
Plus récemment, en étroite collaboration avec l’équipe de Philippe Sansonetti, nous avons montré dans un modèle expérimental murin de cancer colorectal que la quantité de Sgg présente dans l’intestin était augmentée d’un facteur 1 000 en présence de polypes (Aymeric et al., 2018). Cet avantage compétitif survient au détriment d’autres bactéries commensales de l’intestin de souris comme Enterococcus faecalis. Ce bénéfice repose sur la production d’une bactériocine (un antibiotique naturel) appelée gallocine, sécrétée par la bactérie Sgg et capable d’inhiber la prolifération de bactéries commensales du genre Enterococcus. La gallocine est naturellement produite et sécrétée par Sgg, mais son activité bactéricide nécessite la présence de détergents, comme les acides biliaires secondaires, des métabolites présents en grande quantité dans le côlon. Dans le modèle génétique de cancer colorectal murin que nous avons utilisé, la mutation du gène suppresseur de tumeurs Apc (adenomatous polyposis coli), qui est retrouvée dans 80 % des CCR, a été corrélée à une diminution de l’expression d’un transporteur des acides biliaires secondaires (Slc10A2 [solute carrier family 10 member 2]) au niveau de l’iléon et du côlon, et à une augmentation de la concentration luminale de DCA et d’acide lithocholique (LCA), les deux principaux acides biliaires secondaires. En résumé, nos travaux suggèrent que l’augmentation des acides biliaires dans le CCR favorisent la colonisation par Sgg au détriment d’autres bactéries commensales du microbiote. Ces travaux sont commentés et mis en perspective dans une nouvelle dans la revue Médecine/sciences (Aymeric et al., 2018).